Dans une lettre ouverte, le député guyanais Gabriel SERVILLE (GDR) a pris la plume pour s’adresser au Premier ministre, Jean CASTEX, suite à ses propos concernant la Colonisation au JT de TF1 en date du 1er novembre 2020.
Monsieur le Premier Ministre,
«Nous devrions nous auto-flageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore !» : Invité dimanche 1er Novembre du 20 heures de TF1, c’est la déclaration que avez faite et qui a heurté nombre de nos concitoyens.
Nous sommes nombreux parmi les citoyens de ce pays à avoir longtemps crû que ce débat sur les aspects positifs de la colonisation était enfin clos, remplacé définitivement par nos valeurs républicaines faisant de tous les membres de notre espèce, des êtres Humains égaux en dignité et en essence, rejetant ainsi loin de nous les oripeaux nauséabonds d’un passé , où le racisme et le racialisme furent fréquemment invoqués pour justifier les pires avanies prédatrices de l’Empire.
Les 70 dernières années qui virent nombre d’anciennes colonies accéder à l’indépendance, ont pourtant été un magnifique terrain d’expression pour de nombreux intellectuels et hommes politiques, afin de déconstruire le monstrueux édifice idéologique inégalitaire et suprémaciste, élaboré par des esprits égarés tels que Arthur de Gobineau ou Georges Vacher de Lapouge, qui à leur époque, ensemencèrent très malheureusement des esprits tels que ceux de Jules Ferry, paradoxalement grand instigateur de l’école laïque, afin de justifier la criminelle entreprise coloniale qui fit tant de morts , masquée par une supposée sainte mission civilisatrice!!!
Il est évident que nous ne saurions trouver la moindre repentance dans les écrits d’un Bugeaud , d’un Gallieni ou d’un Faidherbe, s’il nous prenait l’envie naïve de les explorer. La certitude raciste et suprémaciste, à l’époque, ne se discutait pas, mais depuis, que d’eau, oserai je dire, que de sang, de chicotes et de travaux forcés sont passés sous les ponts….
Il en est ainsi des civilisations. Elles vivent, changent, mûrissent, et dans un accès total de conscience d’elles-mêmes, finissent enfin pour certaines, par appréhender leurs propres errements passés, condition sine qua non pour qu’elles se survivent, ceci en retrouvant leurs fondamentaux, en l’occurrence pour la France, son idéal Républicain, se résumant avec force dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen….
Parmi les esprits fidèles à cet idéal Républicain qui ont osé clamer clairement leur aversion pour le colonialisme et ses purulents présupposés idéologiques, je citerai, sans ironie, notre Président, Emmanuel Macron, votre patron, Monsieur le premier Ministre, qui en février 2017, a déclaré que la colonisation était un crime contre l’humanité, et in fine, une barbarie.
J’invoquerai également Frantz Fanon, héros français de la seconde guerre mondiale, qui démontra le clivage racial, au cœur même de l’entreprise coloniale, ainsi que les effets dévastateurs de cette dite entreprise sur la psyché du colonisé mais également du colonisateur.
Je me hasarderai même à invoquer Damas et Césaire qui, dans le même hoquet nauséeux, renvoyèrent à la figure du colonisateur arrogant, sa jactance civilisatrice, pleine de duplicité, et surtout si pleine d’avidité…
Dès lors, comment s’expliquer un tel impair de votre part Monsieur le premier Ministre?
Êtes-vous donc à ce point en désaccord idéologique avec le Président de la République ?
Êtes-vous à ce point en désaccord avec une longue lignée d’auteurs, et d’intellectuels du 20ème siècle qui, par leur travaux, particulièrement après l’abomination que fut la seconde guerre mondiale, ont enrichi durablement les humanités françaises, d’une sensibilité qui lui avait été trop longtemps étrangère : celle de l’Autre. Lui faisant ainsi comprendre que les Droits de l’Homme, impliquent le respect de tous les Hommes, quels que soient, leur couleur de peau, leur culture, leur genre, leur religion, leur orientation sexuelle, etc. ?
Je vous sais trop rompu à l’exercice politique pour que dans un accès de spontanéité, vous vous soyez laisser aller à afficher de telles contradictions avec les positions énoncées clairement par notre Président.
Dès lors, il ne me reste qu’une seule explication possible : cette déclaration, faite, l’air de rien sur le plateau TV de TF1, correspond à un clin d’œil, à peine discret, fait en direction de l’extrême droite, dans le cadre d’un agenda électoral qu’il n’est guère difficile de deviner…
Pour finir, je dois Monsieur le premier Ministre, vous affirmer un certain désappointement, quand un homme d’état de premier plan, se fait le support de certains courants d’idées, qui prennent une résonance particulière en ces temps troublés. En effet, au lieu d’unifier la Nation, vous la divisez en ouvrant de nouvelles lignes de fracture. Le séparatisme venant d’où on ne l’attendait pas, vous en conviendrez, est déconcertant….
Monsieur le Premier Ministre, une France unifiée autour des valeurs de la République, et se voulant porte-voix de la déclaration universelle des droits de l’homme ne peut avec cynisme s’enferrer dans le terrain mouvant du déni de l’absurdité coloniale, sous couvert de refus de la repentance : Je le dis avec force : Les Hommes sont égaux ! Et si ce précepte est également le vôtre, la colonisation est une monstruosité, autant par l’idéologie qui l’anime que par les moyens dont elle use et les objectifs qu’elle vise…
Me viennent à l’esprit, les propos du poète, devant tant d’atteinte à l’unité et aux valeurs fondamentales qui nous permettent de faire Nation : “Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde”…..
Puisse le poète avoir tort….
Gabriel SERVILLE