Retour sur la tragédie de la 4ème vague meurtrière, liée au Covid-19 en Guadeloupe, et immersion au cœur du CHUG, à travers les portraits de ceux qui se sont battus contre ce variant tueur.
La Guadeloupe ne s’était pas préparée à la force de cette vague-là : 229 victimes du Covid pour le seul mois d’Aout 2021. Sur une population de 400 000 personnes, c’est gigantesque. Quatorze fois plus que dans le reste de la France à la même période.
Le lieu où s’est joué une grande partie de cette tragédie est un immense bâtiment planté au cœur de Pointe à Pitre. Le CHU est une ville dans la ville, le premier employeur de l’île avec 3500 salariés. Il est devenu le temps de cette quatrième vague, une citadelle assiégée… Entre le 1er juillet et le 7 septembre 2021, le CHU a reçu 1910 patients aux urgences Covid. Les chiffres sont alarmants : 296 décès. Le plus jeune avait 22 ans, le plus âgé 102. Et puis il y a cette statistique : 94% des morts n’étaient pas vaccinés.
Il y a le nombre de morts, la guerre que le personnel soignant a mené contre le Covid mais il y a eu une seconde bataille, destructrice elle aussi : celle du vaccin. Ce débat, avec son lot d’informations, de désinformation et de rumeurs est devenu la grande question qui divise l’île. Plus que partout ailleurs en France, les guadeloupéens ne croient pas au vaccin. Fin septembre 2021, ils étaient moins de 40% à avoir reçu au moins une première dose contre 80% en métropole ! L’histoire de la Guadeloupe, le souvenir du Chlordécone, l’attachement à la pharmacopée traditionnelle, la méfiance pour tout ce qui vient de Métropole ont cristallisé les positions. La direction du CHU et les syndicats ont rompu le dialogue… la violence a surgi parfois en plein cœur de la crise sanitaire…
Les personnages
Les personnages sont des acteurs bien réels de la tragédie qui s'est jouée au CHU de Pointe à Pitre en Aout dernier. Cette liste n’est pas exhaustive. D’autres viendront s’ajouter. Le réalisateur a cherché, en toutes circonstances, à laisser s’exprimer des points de vue différents. Sur l’épineuse question de la vaccination par exemple, pro et anti-vaccin auront la parole…
Françoise RAYAPIN - Infirmière urgences et réanimation
Son métier d’infirmière c’est sa passion. C’est ce qu’elle a toujours voulu faire depuis toute petite.
En général elle travaille aux urgences et des situations critiques elle en a vu. Un drame de l’ampleur de celui qui se joue en ce moment pourtant, elle n’a jamais connu ça. Elle est venue renforcer le service de réanimation. Il faut bien des gens pour s’occuper des 35 lits supplémentaires. Il y a les journées interminables, les soins et puis la mort qui rôde. Des morts tous les jours et des corps qu’elle doit descendre à la morgue déjà bien remplie. Malgré toutes ces histoires, sa famille ne veut pas comprendre. Comment comprendrait-elle d’ailleurs ? Même ses collègues ne veulent pas entendre parler du vaccin. Françoise fait partie des 5 vaccinés sur les 250 membres des équipes de soins passés en réanimation depuis début janvier… Pourtant, Françoise voit la situation se dégrader, jour après jour. Parfois il y a six ou sept ambulances qui attendent juste dehors et presque un nouveau patient chaque minute qui passe. Et le pic des contaminations n’est pas atteint. « C’est devenu de la médecine de catastrophe. On se retrouve face à un tsunami. Aucun établissement ne pourrait faire face, pas même en métropole. Il y a une vague de patients et on ne pourra pas sauver tout le monde ».
Philippe LE NOACH – Interne au Service de Réanimation
« 41, 37, 45, 58, 46… », ce matin-là, carnet à la main, Philippe le Noach énumère l’âge de ses patients en
réanimation. Aucun n’a plus de 65 ans. Pour ce jeune interne c’est un choc de voir jour après jour des Guadeloupéens de plus en plus jeunes intubés dans son service. Il y a une semaine, les huit boxes de cette aile de l’hôpital servaient encore à la vaccination. Mais face à l’explosion des contaminations et au taux d’incidence le plus élevé jamais vu dans un département français, le plan blanc a été déclenché. Le moindre espace disponible a été réquisitionné, le nombre de lits de réanimation est passé de 22 à 57. Tous sont occupés et la liste d’attente est longue. « En fin de semaine dernière on s’est retrouvé avec 30 patients qui attendaient une place en réa pour deux places disponibles. On prend qui dans ces cas-là ? ». La réponse est terrible. A seulement 26 ans, Philippe le Noach est contraint de choisir…Philippe le Noach, a une chambre dans le quartier des internes. Depuis deux semaines, de toutes façons, il ne vit qu’à l’hôpital. Nous le suivrons dans son travail, mais aussi lors des quelques plages de repos, lorsqu’il appelle sa famille en métropole pour lui raconter la réalité de cette île à laquelle il s’est tant attaché.
Jean-Charles MARTYR-FALE - Animateur Radio à Guadeloupe la 1ère
« Les obsèques de madame F. Eléonore Agathe, décédée dans sa 75e année seront célébrées ce 29 août à
9 heures… » Comme tous les jours à 13h30, Jean Charles Martyr-Fale lit à l’antenne de Guadeloupe la 1ère, les
avis d’obsèques. Il donne quelques informations sur les défunts, leur vie, leur famille, leur parcours. C’est une tradition aux Antilles, écoutée par une grande partie de la population. La situation actuelle a forcé les programmateurs à allonger la durée de l’émission d’une heure. La longue liste des victimes du Covid-19 prend du temps à être lue. « D’habitude, on a une trentaine de décès par jour. La semaine dernière on était montés à plus de 80. Aujourd’hui j’en ai 79. Du jamais vu ». Alors que le taux d’incidence dépasse toujours les 2000 pour 100 000 habitants et que la situation continue à se dégrader, Jean Charles Martyr-Fale s’attend à franchir le cap symbolique des 100 avis de décès à lire dans la même émission « peut-être dès la semaine prochaine ».
france.tv
Diffusion : Lundi 17 Janvier 2022 à 20h05 (52 min)