Découvrez un documentaire inédit "Camarade Jean" signé Franck SALIN mardi 29 septembre dans "Horizons"
Louis Théodore est producteur de fruits et légumes. À la tête d’une importante coopérative agricole en Guadeloupe, il milite aujourd’hui pour la souveraineté alimentaire de son île. Cet octogénaire alerte et volontaire a eu une vie aussi peu connue qu’exceptionnelle : il fut l’un des fondateurs du mouvement indépendantiste guadeloupéen, connut la clandestinité, changea d’identité pour devenir « Camarade Jean », croisa la route des plus grands révolutionnaires de la planète parmi lesquels Mao Zédong et Che Guevara. À travers son récit, des images d’archives et les témoignages de ceux qui l’ont accompagné ou combattu dans sa lutte pour l’indépendance, ce film relate un pan de l’histoire tumultueuse de la Caraïbe, de la France et du monde.
Un film documentaire écrit et réalisé par : Franck Salin - durée : 66 minutes - année de production : 2020 - format : HD – 16/9 - langues : créole, français – sous-titrages français. - coproduction : Beau Comme une Image (BCI), Beau Comme les Antilles (BCA), Guadeloupe La 1ère, Martinique La 1ère, France Télévisions. Avec le soutien du CNC, du Procirep, de l’Angoa et de la Région Guadeloupe.
Diffusion : Mardi 29 septembre à 20h05
Note de l’auteur-réalisateur
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Le 20 octobre 2014, dans la commune de Trois-Rivières en Guadeloupe, à la veillée mortuaire de mon père, le Dr Jacques Salin, deux septuagénaires s’approchent de moi et me présentent leurs condoléances. Il s’agit de Claude Makouke et Louis Théodore dit « Camarade Jean », les fondateurs du mouvement indépendantiste guadeloupéen. Me revient alors en mémoire une demande de mon père qui, dans les années 1980, était porte-parole de l’UPLG (l’Union pour la libération de la Guadeloupe), le principal parti indépendantiste de l’île. Durant les années précédant sa mort, il m’avait incité à recueillir les témoignages des initiateurs du mouvement nationaliste avant qu’ils ne passent tous l’arme à gauche, afin de laisser une trace de l’action de ces hommes qui avaient, disait-il, changé la face de la Guadeloupe. Sans mesurer l’urgence de cette requête – mon père est décédé à l’âge de 64 ans –, je lui avais fait cette promesse que je m’efforce aujourd’hui d’honorer.
Je n’ai pas filmé les longues discussions, quelquefois houleuses, que mon père et moi avons eues au sujet de l’indépendance, mais elles irriguent ce projet de documentaire. De mes échanges avec lui et de nombreux membres du courant nationaliste, une figure se détache clairement : celle du « Camarade Jean », l’idéologue et cofondateur du mouvement. Personnage charismatique, énergique et secret, il nous raconte l’histoire de sa vie, laquelle se confond avec celle du mouvement qu’il a créé, en nous présentant les lieux marquants et les personnes clés qui l’ont accompagné ou combattu dans cette épopée qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais été portée à l’écran.
Les slogans et les figures du mouvement patriotique guadeloupéen ont marqué mon enfance. Lorsque, dans les années 1990, j’ai atteint l’âge adulte et initié ma propre réflexion politique, il avait déjà amorcé son déclin. La revendication d’indépendance nationale, rejetée par la majorité de la population, n’a pas été assouvie. Elle avait été affirmée après la seconde guerre mondiale, quelques années seulement après que la colonie de la Guadeloupe devînt un Département Français d’Amérique (1946), lorsque déferla sur le monde la grande vague de décolonisation. Elle a connu son apogée dans les années 70-80 où les partis et syndicats indépendantistes (UTA, UGTG, UPLG, MPGI…) comptaient dans leurs rangs des dizaines de milliers de militants qui, en appelant à la sécession, aspiraient à la dignité, à la justice et au respect de leur identité.
Cette aspiration a connu des pics de violence. Ainsi, dans les années 80, la Guadeloupe a essuyé plusieurs nuits bleues et une grève générale, en 1985, qui l’ont fortement ébranlée. Mais ni les grèves, ni les occupations de terre, ni les bombes n’ont changé le statut politique d’un département français entré de plain-pied dans la société de consommation. Dans les années 1990, le mouvement nationaliste dépérit. Homme d’action, le Camarade Jean se reconvertit dans l’entreprise. Il dirige une exploitation agricole et est aujourd’hui, à plus de 80 ans, gérant de la Sicapag, un groupement de 130 producteurs agricoles qui réalise plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire. Il n’a pas renié ses jeunes années et demeure indépendantiste dans l’âme, même s’il porte un regard critique sur l’évolution du mouvement nationaliste et de la société guadeloupéenne. Aujourd'hui, il met en œuvre très concrètement son énergie au service d'un idéal, qui l'a toujours habité, rendre la Guadeloupe « indépendante »... sur le plan alimentaire.
Dans ce film, je suis le « Camarade Jean » dans son combat quotidien pour le développement et la commercialisation de la production agricole locale. Un combat qui plonge ses racines dans l’engagement politique de ses jeunes années.
Un parcours à travers lequel j’ai voulu éclairer les origines du mouvement patriotique et les raisons qui ont motivé ses initiateurs, relater les principales actions qu’ont menées ces derniers pour atteindre leur objectif, et tenter de comprendre pourquoi, finalement, la Guadeloupe n’est pas devenue un Etat indépendant à l’instar de ses voisins de la Caraïbe. Dans cette enquête, je m’attacherai en premier lieu au récit de Louis Théodore dit Camarade Jean, dont le récit de vie m’a servi de fil conducteur. Un récit enrichi des témoignages d’autres acteurs clé de cette histoire. Principalement, Josy Saint-Martin (son épouse et compagne de lutte), Claude Makouke et Rosan Mounien (ses amis et respectivement anciens responsables du parti UPLG et du syndicat UGTG), et Luc Reinette (qui dans les années 80 initia une lutte plus radicale, sous la bannière des organisations MPGI et ARC).
Je n’ai ni l’intention ni la prétention de présenter l’Histoire avec un grand H du mouvement nationaliste guadeloupéen. Il faudrait des travaux universitaires plus nombreux et faire plusieurs films pour atteindre un tel objectif. Cependant, avec ce documentaire, je souhaite faire découvrir « une » certaine histoire du mouvement indépendantiste à travers le parcours d'un homme et de ses associés. Une approche subjective qui éclaire un pan de l’histoire de la Guadeloupe et suscitera, je l’espère, la réflexion des générations présentes et futures. Une approche qui résonnera bien au-delà de l'archipel guadeloupéen, en France hexagonale et dans tout l'Outre-mer, puisque cette volonté d'indépendance a traversé quasiment tous les départements français et collectivités d'outremer des années 1960 à nos jours.
J’ai illustré les témoignages que j’ai recueillis avec des archives photo, vidéo et sonores récoltées dans des fonds publics et privés. Les archives sur le mouvement nationaliste guadeloupéen étaient riches et inexploitées. J’ai donc eu le désir de les exhumer pour les donner à voir à un plus large public.
France Télévisions